L’ANR, en tant que signataire du Plan S, s’engage à ce que les publications scientifiques qui résultent de recherches qu’elle a financées soient publiées en accès ouvert dans des revues ou sur des plateformes à compter du 1er janvier 2020 et que les auteurs de ces publications conservent sans aucune restriction leurs droits d’auteur.
Il s’agit là d’une avancée majeure vers l’accès ouvert, mais la mise en œuvre d’un tel engagement dans un délai aussi court ne peut se faire – pour simplifier – qu’en suivant initialement les deux voies déjà existantes et non exclusives :
Il est indispensable, tout en s’appuyant sur l’existant, d’envisager également le développement d’autres voies plus innovantes. En effet, le Plan S, tout en exprimant la nécessité d’établir des critères sévères de conformité pour les services des revues et plateformes éligibles, semble se focaliser sur l’hypothèse des “APC” : qui va les payer ? leur plafonnement ? sans envisager explicitement des modèles économiques alternatifs de type “Diamant” et en minorant le potentiel d’innovation éditoriale des archives ouvertes.
Par conséquent, l’ANR qui va devoir mettre en œuvre le Plan S doit prendre en compte dans sa feuille de route les revues en accès ouvert sans frais pour les auteurs, les modèles économiques alternatifs de type “Diamant” et les archives ouvertes, respectant ainsi la diversité des modèles prônée par l’Appel de Jussieu pour la science ouverte et la bibliodiversité qu’ont signé la majorité des établissements de recherche français.
C’est dans cette ligne que les groupes spécialisés du Comité pour la Science ouverte (Groupe “Édition scientifique ouverte” et Groupe-projet “Construire la bibliodiversité”), composés de chercheurs des diverses disciplines et de professionnels de l’information scientifique et technique (IST) ont réfléchi aux préconisations qui suivent, en vue d’une mise en application du Plan S en phase avec nos collègues européens. Des préconisations générales sont d’abord présentées, puis les 10 points du Plan S sont abordés dans l’ordre.
Le Comité pour la Science ouverte prend acte des précisions apportées au Plan S par le Guide d’application publié le 27 novembre 2018. Ces précisions lèvent certaines ambiguïtés et vont, pour la majorité d’entre elles, dans le sens des préconisations que le Comité énonce pour la mise en œuvre du Plan S par l’ANR.
Nous rédigeons cependant une courte note de “points de vigilance” répondant à la consultation en ligne de la cOAlition S en mettant l’accent sur les points éventuellement litigieux ou encore de notre point de vue imprécis du guide d’implémentation.
Nous recommandons qu’au moment de la mise en application du Plan S par l’ANR, une note très didactique soit publiée à destination des chercheurs afin de leur expliquer les nouvelles modalités de publication désormais compatibles avec les contrats ANR.
Affirmer le principe de bibliodiversité : pas de modèle unique. La science ouverte doit s’accompagner d’un soutien à la diversité des modèles économiques et des modèles de publication. Les principes énoncés dans l’Appel de Jussieu pour la science ouverte et la bibliodiversité devraient servir de support aux feuilles de route qui seront élaborées par les agences signataires du Plan S. À cet égard le point 1 du guide d’implémentation du Plan S rappelle qu’il est nécessaire de ne privilégier aucun modèle économique, ni aucune modalité de mise en œuvre de l’Open Access.
Respecter les spécificités des disciplines. Une attention particulière devra être portée aux pratiques et aux conditions de communication scientifique, de publication et d’évaluation des différentes disciplines. Les disparités SHS / STM devront notamment être prises en compte, y compris en ce qui concerne l’évaluation des chercheurs.
Prévoir un déploiement phasé. Si l’objectif 2020 peut être atteint de façon réaliste en s’appuyant majoritairement sur le potentiel de diffusion des archives ouvertes, seul le financement d’infrastructures, plateformes et revues innovantes et sous le contrôle de la communauté scientifique, permettra le changement systémique nécessaire, en complémentarité avec les archives ouvertes.
Affirmer et conforter le rôle primordial des archives ouvertes.
Là aussi le guide d’implémentation, dans son point 2, précise que le dépôt en archives ouvertes permet d’être en conformité avec le Plan S.
Mettre en œuvre des mécanismes de soutien à l’innovation destinés aux infrastructures nationales et internationales, presses universitaires et structures éditoriales, plateformes de contenus ou de signalement, revues et services proposant des modèles éditoriaux et économiques originaux et répondant aux critères d’exemplarité tels qu’ils seront définis par le Comité pour la Science ouverte (CoSO) à échéance du premier semestre 2019. Il convient en particulier d’encourager les dynamiques d’évolution des revues de recherche portées ou soutenues par les établissements publics vers des modèles ouverts (cf. points 2 et 3).
En ce sens les affirmations du point 4 du guide d’implémentation du Plan S rejoignent les propositions du CoSO.
Exiger la mise en oeuvre de principes de transparence et de mesure des coûts de l’accès ouvert. C’est un point clé de la mise en place et de l’évolution des dispositifs de publication en accès ouvert.
Les points 3 et 9 du guide d’implémentation prévoient que la transparence des coûts des APC sera un critère de compatibilité avec le Plan S.
1. Les auteurs conservent les droits d’auteur de leur publication sans aucune restriction. Toutes les publications doivent être publiées sous licence ouverte, de préférence Creative Commons Attribution Licence CC BY. Dans tous les cas, la licence demandée doit satisfaire aux exigences de la Déclaration de Berlin.
Ce point est crucial car, dès lors, les auteurs sont libres de déposer et diffuser, quand ils le veulent (donc sans tenir compte d’aucun embargo) et où ils le veulent, la version finale du manuscrit accepté pour publication (ou la version publiée si l’éditeur l’autorise).
L’idéal de diffusion sous licence ouverte de type CC-BY, ou CC-BY-SA si approprié, de la version du manuscrit auteur accepté pour publication (au minimum) est à privilégier en prenant garde à ce qu’aucune cession de droits dans un contrat d’édition ne vienne le limiter ou l’empêcher (cf. point 8).
Éléments de mise en œuvre
2. Les bailleurs de fonds assureront conjointement l’établissement de critères et d’exigences solides pour les services que les revues et les plates-formes en accès ouvert conformes de haute qualité doivent fournir.
Toute publication issue d’une recherche financée par l’ANR et les autres agences qui s’engagent dans la cOAlition S devra satisfaire simultanément aux deux exigences suivantes :
Ces exigences peuvent être satisfaites par l’édition dans une revue ou un ouvrage, par le dépôt dans une archive ouverte, par le recours à une plateforme d’évaluation par les pairs, ou par une combinaison de ces différentes solutions. Par exemple : édition dans une revue sous abonnement et dépôt dans HAL ; édition dans une revue en accès ouvert ; validation par les pairs à l’aide d’une plateforme dédiée puis publication dans une revue.
Pour le choix de ces dispositifs les critères de conformité doivent être simples et aisément vérifiables par le chercheur au moment du choix de la revue dans laquelle il souhaite publier et de la plateforme de diffusion.
Éléments de mise en œuvre
Pour les revues en accès ouvert
Un premier niveau de conformité minimale devrait être prévu ainsi qu’un second niveau répondant à des exigences d’ouverture plus élevées.
Le niveau minimal de conformité comprend les éléments suivants :
Le niveau souhaitable comprend en outre les critères et services suivants :
Pour les plateformes en accès ouvert
Archives ouvertes
Dans le cas d’un dépôt de la publication (dernière version du manuscrit auteur accepté pour publication au
minimum) dans un entrepôt ouvert, ce dernier doit obligatoirement proposer les services suivants :
À cet égard, la diffusion sur les réseaux sociaux tels que ResearchGate, Academia ou MyScienceWork n’est pas compatible avec le plan S.
Plateformes d’évaluation par les pairs
Une évaluation par les pairs complète et de qualité peut être réalisée en dehors du cadre d’une revue scientifique par une communauté reconnue et organisée s’appuyant sur des archives ouvertes pour la publication. Ce mode de diffusion est compatible avec le plan S.
3. S’il n’existe pas encore de revues ou de plates-formes Open Access de haute qualité, les bailleurs de fonds fourniront, de manière coordonnée, des incitations pour les établir et les soutenir le cas échéant ; un soutien sera également apporté aux infrastructures Open Access si nécessaire.
Le soutien financier aux infrastructures, plateformes et revues de la science ouverte est indispensable et nous encourageons l’ANR, bailleur de fonds de la cOAlition S, dans ce sens. À charge pour elle de déterminer si ce soutien est effectué à l’échelle du projet (mécanismes à déterminer, cf. point 5), assumé par le bailleur sur une ligne spécifique ou par une combinaison des deux.
Ce soutien devra être apporté aussi bien à des infrastructures, plateformes ou revues existantes qu’à des dispositifs émergents. Une attention particulière devra être portée au soutien à la transition des revues, portées par des institutions publiques ou une communauté scientifique, qui ne sont pas encore en accès ouvert mais souhaiteraient le devenir, et ce indépendamment de leur modèle économique initial (abonnement payant, abonnement avec barrière mobile, APC…)
Éléments de mise en œuvre
4. Le cas échéant, les frais de publication de l’accès ouvert sont couverts par les bailleurs de fonds ou les universités, et non par des chercheurs individuels ; il est reconnu que tous les scientifiques devraient pouvoir publier leurs travaux en accès ouvert même si leurs institutions disposent de moyens limités.
Cette disposition présente un risque de dérive vers un modèle entièrement fondé sur la publication payante dont le prix sera difficilement maîtrisable s’il n’est pas associé à des services dont les tarifs sont justifiés par l’éditeur (cf. supra : transparence).
Des frais de publication “vertueux”, transparents et en rapport avec les services rendus, sont, par contre, acceptables car éditer et publier a un coût.
La solution que nous défendons et qui est prônée par l’Appel de Jussieu est de favoriser le financement collectif de plateformes et revues qui ne demandent pas aux auteurs de payer.
5. Lorsque des frais de publication en Open Access sont appliqués, leur financement est standardisé et plafonné (à travers l’Europe).
Il existe sans doute un risque d’alignement des prix sur le plafond ; en conséquence celui-ci devrait être ajusté au plus bas, tout en permettant de construire des modèles durables avec les éditeurs.
Par ailleurs un plafonnement moyen n’a pas de sens en termes disciplinaires et un travail sur la réalité des coûts de publication au plus près des spécificités disciplinaires et nationales s’impose.
Le plafonnement, de notre point de vue, ne peut donc être que disciplinaire et il paraît préférable que l’ANR en fixe le montant pour chaque discipline dans ses règles nationales ou délègue cette charge à ses sections disciplinaires dans le cadre de l’examen des dossiers.
Il conviendra de fournir aux évaluateurs des éléments d’appréciation des modèles et des tarifs des services d’édition.
Dans le cas de la mise en place d’un plafonnement, que nous ne concevons que bas, il conviendra de prendre effectivement en compte le cas des revues en libre accès ne demandant pas de frais de publication et qui sont aujourd’hui majoritaires dans certaines disciplines.
Éléments de mise en œuvre
6. Les bailleurs de fonds demanderont aux universités, aux organismes de recherche et aux bibliothèques d’aligner leurs politiques et stratégies, notamment pour assurer la transparence.
S’il s’agit d’un alignement au niveau européen, il faudra veiller à ne pas aller vers un modèle unique de développement de l’accès ouvert mais bien à soutenir la bibliodiversité dans le respect des particularités disciplinaires.
Nous recommandons également de veiller :
7. Les principes ci-dessus s’appliquent à tous les types de publications savantes, mais il est entendu que le délai pour parvenir à l’accès ouvert pour les monographies et les livres peut être supérieur au 1er janvier 2020.
La date du 1er janvier 2020 semble peu réaliste en regard de la temporalité de production des monographies. De plus, en l’absence d’une approche raisonnée et quantifiée des pratiques d’édition
d’ouvrages, il est urgent de mener une étude sur l’économie, les modes d’édition et les frais de publication en accès ouvert des monographies, à la suite de laquelle il pourra être envisagé de fixer une date et des mécanismes pour que les monographies de recherche subventionnées par l’ANR soient diffusées en accès ouvert. Une attention particulière devra être portée aux modèles économiques innovants.
Par contre, pour les ouvrages collectifs nous estimons que leur cas peut, d’ores et déjà, être assimilé à celui des articles de revues avec la possibilité de dépôt, sur le modèle des articles, des chapitres en archives ouvertes.
Éléments de mise en œuvre
8. L’importance des archives ouvertes et des dépôts d’archives pour l’hébergement des résultats de la recherche est reconnue en raison de leur fonction d’archivage à long terme et de leur potentiel
d’innovation éditoriale.
Il faut faire des archives ouvertes le lieu privilégié de diffusion des publications financées par l’ANR et l’ensemble des membres de la cOAlition S.
Dans ce sens, il convient pour l’ANR d’exiger contractuellement un dépôt systématique ou un reversement automatique dans HAL à partir d’une autre archive ou de toute autre source.
Nous préconisons donc, pour les articles acceptés pour publication, la diffusion en archive ouverte immédiate et sans embargo dès la publication au minimum du texte intégral de la version finale du manuscrit accepté pour publication ou, idéalement, de la version ‘éditeur’ (exemples vertueux de EDP Sciences et de l’American Physical Society).
L’importance des archives ouvertes va en effet bien au-delà la fonction d’archivage à long terme des articles publiés. C’est notamment :
9. Le modèle « hybride « de publication n’est pas conforme aux principes ci-dessus.
Ce modèle, très opaque, conduit, dans le cas de la mise en accès ouvert, à un double paiement qui ne peut être acceptable.
Cependant un grand nombre de revues relevant de ce modèle économique sont, pour le moment, les revues-phares de communautés scientifiques entières et disposent d’une notoriété élevée, donc d’un fort pouvoir d’attractivité. Sans, au moins, une évolution rapide et radicale des procédures d’évaluation de la recherche, il paraît donc illusoire de penser inverser cette situation d’ici le 1er janvier 2020.
Éléments de mise en œuvre
Il nous paraît donc plus réaliste, dans l’immédiat :
mais également :
10. Les bailleurs de fonds surveilleront la conformité et sanctionneront les cas de non-conformité.
Un système de suivi, assorti d’éventuelles sanctions, ne peut qu’appuyer la mise en œuvre du Plan S. Les modalités de suivi et la forme de ces sanctions ne peuvent être déterminées que par les bailleurs de fonds eux-mêmes.
Nous recommandons à l’ANR de vérifier, au moment du bilan du projet, et le cas échéant au moment de l’évaluation du projet (livrables liés à l’édition de sources par exemple), que les publications sont bien conformes et donc les dépenses recevables.
Il pourrait être envisagé de n’ouvrir la ligne prévisionnelle de financement des publications qu’a posteriori et sous réserve de vérification de conformité.
L’ANR pourrait, comme c’est le cas pour des fonds européens, créer un fond mutualisé pour le financement des publications, qui sont souvent publiées après la vie d’un projet.
L’ANR et les autres membres de la cOAlition S pourront également faire des bilans globaux de l’application du plan, par exemple annuellement, et sur la base de ce bilan prendre des mesures d’ajustement.
Le plus important à ce stade nous paraît être la pédagogie et l’accompagnement, pour dire clairement aux chercheurs comment ils peuvent se conformer au Plan S.
Lettre de Thierry Damerval, Président Directeur Général de l’ANR, à Bernard Larrouturou, Directeur général de la recherche et de l’innovation (30 octobre 2018)