Les ressources éducatives libres, un enjeu d’avenir
Dans une économie fondée sur les connaissances, la création de nouveaux savoirs et leur diffusion vers le plus grand nombre jouent un rôle central. C’est l’objectif poursuivi par le mouvement Open Education qui œuvre au développement de ressources éducatives libres. Selon l’Unesco, ces ressources incluent les « matériaux d’enseignement, d’apprentissage ou de recherche appartenant au domaine public ou publiés avec une licence de propriété intellectuelle permettant leur utilisation, adaptation et distribution à titre gratuit ».
Usuellement, un enseignant créant un cours ou un manuel scolaire voit son œuvre originale protégée par le droit d’auteur qui en définit l’usage et la réutilisation. Grâce à cette protection de la propriété intellectuelle, la ressource pédagogique est rendue exclusive, c’est-à-dire qu’il est possible d’empêcher quelqu’un de l’utiliser, et que l’auteur dispose d’un monopole sur son droit d’exploitation.
Son accès en est de facto souvent payant. Qui plus est, sa reproduction, sa modification et sa diffusion par d’autres sont limitées, sauf autorisation explicite avec chaque utilisateur. Les ressources éducatives libres, elles, rendent la ressource pédagogique non exclusive et libre d’accès. Sa diffusion est également facilitée et les œuvres dérivées, modifiant le cours ou le manuel scolaire original, sont permises grâce aux licences de libre diffusion existantes.
Une palette de conditions
S’appuyant entre autres sur les universités ouvertes développées il y a une cinquantaine d’années dans les pays anglo-saxons où il n’y a pas de condition académique d’admission à l’enseignement proposé, le mouvement Open Education a vu ses pratiques bouleversées par l’émergence d’internet et des technologies de l’information et de la communication. Celles-ci réduisent à néant les coûts de reproduction et de diffusion. Par rapport à un manuel scolaire en format papier, un manuel en ligne peut être facilement recopié et diffusé au plus grand nombre en quelques clics, devenant ainsi un bien public global.
Pour les pouvoirs publics, comme la Commission Européenne ou les organisations internationales comme l’Unesco ou l’OCDE, les ressources éducatives libres ont un double intérêt :
- premièrement, la gratuité et l’accessibilité offrent un accès quasi universel à de multiples connaissances qui peuvent être bénéfiques au développement socio-économique individuel et global. Un ordinateur avec une connexion Internet est suffisant pour accéder à un manuel scolaire appartenant au domaine public ou sous licence de diffusion libre.
- deuxièmement, l’absence de contrainte concernant la modification pour l’adapter au contexte de l’apprentissage permet une plus grande personnalisation de l’expérience qui peut en améliorer la qualité. On pense, par exemple, à la traduction dans une langue comprise par l’apprenant d’un ouvrage originellement écrit dans une autre langue.
Plus récemment, les MOOC (« massive open online courses ») ont redonné un coup de projecteur aux ressources éducatives libres, même si l’ensemble de ces cours en ligne n’en sont pas. De multiples plates-formes comme EdX, Coursera ou FutureLearn proposent des formations en ligne sans prérequis nécessaires pour l’apprenant mais avec des contenus de moins en moins accessibles gratuitement.
D’autres plates-formes, elles, s’inscrivent plus dans une dynamique d’ouverture des savoirs. C’est par exemple le cas de la plateforme FUN (France université numérique) qui laisse la possibilité aux enseignants créant les cours mis en ligne sur sa plate-forme de choisir comment ils veulent protéger leurs contenus pédagogiques, tout en promouvant l’utilisation de licences Creative Commons. Ces licences ont comme caractéristique principale qu’elles offrent un menu de plusieurs conditions permettant à l’auteur de gérer les modalités de circulation de son œuvre et de faire un choix parmi sept licences, allant de la plus restrictive à la plus ouverte en termes de réutilisation des contenus.
Soutiens publics
Cette liberté donne un cadre intéressant pour analyser la diffusion des ressources éducatives libres. Dans un récent article scientifique, intitulé « Why are some massive open online courses more open than others », nous utilisons cette information ainsi que diverses données concernant les cours mis en ligne sur FUN pour étudier les facteurs expliquant le choix d’une licence Creative Commons relativement plus ouverte par certains enseignants.
Nous observons que deux facteurs jouent un rôle prépondérant. Tout d’abord, les enseignants en science, technologie, ingénierie et mathématiques ou dans le secteur de la santé ont des pratiques plus ouvertes qu’en sciences humaines et sociales, en commerce ou droit. Nous expliquons cela par une sensibilité plus importante aux principes d’ouverture des savoirs, déjà plus courante dans leurs activités de recherche, et à une norme sociale plus forte les poussant à choisir une licence plus ouverte.
Ensuite, la plate-forme FUN offre la possibilité aux enseignants de faire payer les étudiants pour obtenir un certificat de réussite aux examens en lien au cours diffusé en ligne. Les enseignants choisissant cette option ont tendance à choisir une licence moins ouverte. Ce résultat peut s’expliquer par la volonté d’obtenir des recettes financières liées à cet investissement pédagogique mais indirectement seulement vu que l’accès au cours, lui, reste entièrement gratuit pour l’ensemble des cours proposés sur la plate-forme.
Cette recherche démontre que la démocratisation de l’enseignement supérieur ne peut pas se faire tout naturellement via les ressources éducatives libres. Pour favoriser leur développement et leur diffusion, diverses interventions publiques seront utiles.
Tout d’abord, des campagnes de sensibilisation aux ressources éducatives libres auprès des enseignants, surtout ceux de disciplines peu ouvertes, mais aussi auprès des étudiants doivent être mises en place. Ensuite, il semble important d’adapter le mode de financement de l’enseignement afin d’encourager financièrement les enseignants à adopter ce genre de pratiques.
Julien Jacqmin, Associate professor in economics, Neoma Business School