Les auteurs du rapport s'interrogent sur les activités des bibliothèques de l’ESR face à la modification du système de production de la recherche rendue possible par les techniques numériques. Ils émettent 13 recommandations pour répondre aux enjeux de la science ouverte, destinées aux instances nationales, aux établissements et aux bibliothèques.  

La place des bibliothèques universitaires dans le développement de la science ouverte

Rapport IGÉSR [1]Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche n° 2021-022, février 2021

Carole Letrouit, Pierre-Yves Cachard, Monique Dupuis, Bernard Froment
Inspecteurs généraux de l’éducation, du sport et de la recherche

Synthèse

La science ouverte est une nouvelle façon de faire de la recherche, rendue possible par les techniques numériques, qui s’applique à toutes les étapes du processus scientifique et concerne aussi bien les résultats que les outils et les méthodes de la recherche. Elle vise à en améliorer la qualité autant que l’efficacité et comporte des enjeux majeurs pour le chercheur et pour la société. Au premier, elle peut permettre de regagner la maîtrise de la communication scientifique, de bien gérer les données qu’il produit et de bénéficier d’infrastructures interopérables qui fluidifient le cycle de la recherche. À la société, la science ouverte propose des interactions renforcées avec la recherche par le biais des méthodes participatives et des ressources éducatives libres.

Historiquement, elle a d’abord pris la forme d’un mouvement pour l’accès ouvert aux publications scientifiques qui s’est étendu à l’ensemble du processus scientifique dans les années 2010. Elle constitue un axe structurant du programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche. La France a inscrit dans la loi pour une République numérique des dispositions pour l’accès ouvert et pour la fouille de données, puis s’est dotée en 2018 d’un Plan national pour la science ouverte.

Les bibliothèques universitaires, entendues ici comme les bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche, ont soutenu ce mouvement dès la création de l’archive ouverte HAL. Dans sa première phase, elles se sont principalement efforcées de sensibiliser les chercheurs et la gouvernance de leur établissement à l’accès ouvert ainsi que de promouvoir et gérer les services permettant le signalement et le dépôt des publications. L’extension du mouvement à l’ensemble de la démarche scientifique a conduit les bibliothèques à diversifier leurs modalités d’appui aux chercheurs.

Les bibliothèques universitaires sont fortement investies dans le développement de la science ouverte aussi bien au niveau européen, via la Ligue européenne des bibliothèques de recherche notamment, que national, à travers les collèges du Comité pour la science ouverte et les groupes de travail spécifiques des associations professionnelles, et local, au sein de leur institution. L’enquête menée par la mission montre que plus de 88 % des bibliothèques relevant d’un établissement qui s’est doté d’une politique de science ouverte ont été associées à la définition et à la mise en œuvre de cette politique. Parmi les 70 bibliothèques qui ont répondu, 90 % informent et forment les chercheurs et les doctorants à la science ouverte, mais aussi leurs personnels, et presque autant administrent une archive ouverte. Plus de la moitié (55,7 %) aident à la rédaction de plans de gestion des données et plus encore à l’obtention d’identifiants (71,4 %) ou donnent des conseils juridiques autour de la publication (62,8 %). Ces résultats convergent avec ceux établis par une étude internationale d’OCLC qui a analysé les activités développées par les bibliothèques autour des contenus ouverts. En revanche, les bibliothèques françaises se sont moins engagées dans la publication numérique et la bibliométrie et n’adaptent pas forcément leur politique documentaire à l’accès ouvert pour lequel il faut cependant dégager des financements.

Il est délicat d’évaluer les ressources humaines consacrées à la science ouverte par les bibliothèques universitaires en l’absence de définition claire des « services d’appui à la recherche ». Il est toutefois certain que ces fonctions échoient très majoritairement à des agents de catégorie A alors qu’ils ne constituent que 27 % des emplois en bibliothèque universitaire et que les efforts de redéploiement et de requalification de postes opérés par celles-ci sont limités par la faiblesse historique des effectifs des bibliothèques françaises et la persistance des missions relatives aux étudiants. Elles doivent pouvoir s’appuyer sur une volonté politique ferme et une stratégie d’établissement claire, assortie de moyens permanents. Ces évolutions passent assurément par un décloisonnement des métiers et une mise en synergie des bibliothécaires et des chercheurs dans des équipes de recherche mixtes. Elles seraient aussi facilitées par la création de guichets de services adaptés aux objectifs de l’établissement, qui structurent l’appui aux chercheurs pour la science ouverte non seulement à l’échelon de la bibliothèque, qui peut en être le coordinateur, mais à celui de l’établissement, dans une approche orientée « chercheurs ». Outre des réorganisations, le développement de ces services implique l’acquisition par les personnels de bibliothèque de nouvelles compétences, en lien, en particulier, avec les données de la recherche, axe du Plan national sur la science ouverte sur lequel la France a moins avancé. Les bibliothèques peuvent adopter sur ce sujet une approche disciplinaire, comme pour les acquisitions de documents ou le renseignement et la formation bibliographiques. Cette granularité de service suppose toutefois des moyens à inscrire dans le projet de l’établissement.

Le changement de paradigme qui sous-tend l’accès ouvert remet en cause la politique et le budget documentaires des bibliothèques universitaires. Les dépenses de documentation et de publication sont de plus en plus imbriquées. Or, l’intégration technologique des chaînes de production et de diffusion des articles et ouvrages scientifiques ouvre la possibilité que les bibliothèques universitaires jouent un rôle nouveau dans l’élaboration d’un modèle économique pour l’édition scientifique qui constitue une véritable alternative au modèle auteur-payeur. Cependant, la fonction éditoriale ne peut se développer que par une mutualisation des moyens au sein d’un pôle éditorial de proximité à l’échelle du site dont la bibliothèque pourra être partie prenante dans son champ de compétences.

Les interactions entre science et société sont amenées à s’amplifier dans le cadre de la science ouverte et les bibliothèques universitaires auront à développer leurs actions de médiation pour expliquer la démarche scientifique et les façons dont les citoyens peuvent y contribuer. Elles ont en outre déjà produit de nombreuses ressources éducatives mises en ligne à disposition de tous.

Recommandations

Pour les instances nationales

Recommandation n° 1 : Élaborer un plan national de formation à la science ouverte des personnels de bibliothèque, des enseignants-chercheurs, chercheurs et doctorants, après un recueil des besoins auprès des bibliothèques et des établissements. La mise en oeuvre de ce plan devra mobiliser tous les opérateurs de formation continue de la filière : ENSSIB, URFIST, CRFCB. Différents parcours adaptés aux différents niveaux d’approfondissements nécessaires permettraient un accès large au dispositif construit, a fortiori s’il parvient à proposer des approches hybrides, en présentiel et à distance, et des formules mixtes, associant des publics de chercheurs et de bibliothécaires. P.56

Recommandation n° 2 : Confier à l’ABES la mission d’impulser l’élaboration et de coordonner la mise en oeuvre d’un plan national pour le développement des identifiants incluant le choix d’un référentiel pour chaque entité (publications, données, chercheurs, structures) et l’alignement des autres référentiels sur ceux qui auront été retenus. P.53

Pour les établissements et les regroupements d’établissements

Recommandation n° 3 : Repenser la fonction appui à la recherche aussi bien à la bibliothèque que dans l’établissement afin de gagner à la fois en lisibilité du point de vue du chercheur et en efficience dans l’utilisation des ressources humaines. Développer le soutien à la science ouverte en inscrivant dans la stratégie de l’établissement l’accroissement des emplois permanents affectés à cette mission au sein de la bibliothèque.P.58

Recommandation n° 4 : Organiser l’assistance aux chercheurs pour la science ouverte en un guichet unique qui analysera la demande et l’orientera vers le service compétent dans l’établissement ou à l’extérieur. Confier à la bibliothèque la coordination de l’équipe gérant ce guichet, y intégrer des membres des différents services de l’établissement contribuant à l’assistance aux chercheurs. P.49

Recommandation n° 5 : Élaborer une stratégie de l’établissement pour la gestion des données de la recherche en partant d’une offre de services de base constituée par la sensibilisation et la formation des doctorants et des chercheurs à la gestion des données, quel que soit leur ancrage disciplinaire. Y intégrer une montée en puissance progressive des moyens et des services en fonction des objectifs successifs fixés par l’établissement. P.51

Recommandation n° 6 : Développer à l’échelon des regroupements d’établissements un pôle éditorial de proximité inscrit dans la politique de site mutualisant les moyens et favorisant les collaborations entre les différents acteurs de l’édition scientifique, bibliothèques et presses universitaires comprises.P.46

Recommandation n° 7 : Conforter l’action des bibliothèques universitaires en faveur du dépôt du texte intégral des publications dans HAL en intégrant des mesures incitatives dans la politique « science ouverte » de l’établissement et en articulant l’archive ouverte au système d’information recherche de l’établissement. P.43

Recommandation n° 8 : Inciter les chercheurs et les bibliothécaires à travailler ensemble dès l’émergence d’un projet de recherche pour mieux se connaître et gagner en efficience, notamment sur la question de la gestion des données. P.49

Pour les bibliothèques universitaires

Recommandation n° 9 : Mener une enquête auprès des chercheurs de l’établissement visant à identifier leurs pratiques relatives aux données de la recherche et à cartographier les compétences et les ressources humaines mobilisables. Sensibiliser les gouvernances d’établissements et les conseils à la bonne gestion des données de la recherche, les inciter à étendre leur politique science ouverte aux données de la recherche. P.47

Recommandation n° 10 : Soutenir les publications en accès ouvert par une politique documentaire consacrant des moyens croissants aux dépenses induites par ce type de publication (souscription, achat de services). Mettre en place pour l’ensemble des unités budgétaires une méthode de traçage et de consolidation des dépenses de publication et de documentation incluant les APC et les BPC. P.43

Recommandation n° 11 : Expérimenter la création de revues éditées par des étudiants et hébergées par des pépinières comme support de formation active à la publication scientifique (p.45). Répertorier et promouvoir les revues de données. Former et aider les chercheurs à la rédaction d’articles de données. P.50

Recommandation n° 12 : Développer au sein des bibliothèques les sensibilisations des doctorants et des chercheurs à l’importance des identifiants d’objets (publications, données) et de contributeurs (chercheurs, structures) et les aider à s’en procurer auprès des organismes compétents. Les former à la gestion de leur identité numérique en s’appuyant sur ces identifiants.p.55

Recommandation n° 13 : Revoir les indicateurs des tableaux de bord des bibliothèques à l’aune de l’accès ouvert aux publications et, plus généralement, de la science ouverte. Les mettre en adéquation avec les pratiques émergentes pour l’évaluation de la recherche. Adopter des définitions et des périmètres fonctionnels qui soient utilisables par tous les établissements. Former les personnels à ces nouvelles métriques. P.54

 

 

References[+]

Sommaire

Synthèse

Recommandations

Introduction

1. La science ouverte : définition et état des lieux

1.1. Définition
1.2. Quelques jalons historiques en France et en Europe
1.2.1. Le mouvement pour l’accès ouvert
1.2.2. Le mouvement pour la science ouverte
1.2.3. Les plans européens et nationaux, les feuilles de route institutionnelles
1.3. La science ouverte en France : état des lieux en 2020
1.3.1. La mise en oeuvre du Plan National pour la Science Ouverte
1.3.2. La définition et la mise en oeuvre d’une politique de la science ouverte dans les établissements d’enseignement supérieur vue par le prisme des bibliothèques
1.4. La place des BU dans la définition et la mise en oeuvre d’une politique nationale et de politiques d’établissement

2. Quelles actions, quels moyens et quels partenariats engagés par les bibliothèques universitaires ?

2.1. Quelles actions déployées par les BU pour la promotion et le soutien à la science ouverte ?
2.2. Quels moyens engagés par les BU pour la promotion et le soutien à la science ouverte ?
2.3. Quels acteurs pour la science ouverte et quelles collaborations entre les BU et les autres acteurs ?

3. Quels enjeux pour le chercheur et la recherche ?

3.1. Rendre la maîtrise de la communication scientifique aux chercheurs
3.2. Bien gérer les données de la recherche
3.3. Bâtir un cycle de la recherche fluide
3.3.1. Les infrastructures
3.3.2. Les identifiants et les indicateurs
3.4.1 Former à la science ouverte et à la recherche intègre
3.4.2. Former les personnels des bibliothèques universitaires
3.5. Structurer l’appui aux chercheurs
3.6. Contribuer au renforcement des interactions entre science et société
3.6.1. La science citoyenne
3.6.2. Les ressources éducatives libres

Annexes