Enquête sur la réalité socio-économique des revues savantes canadiennes et aperçu du modèle de partenariat pour la diffusion en libre accès : bâtir un avenir commun

Veille
12/01/2018

crédit photo : L. Yuen

Le groupe BSN7 propose un résumé de « L’enquête sur la réalité socio-économique des revues savantes canadiennes et aperçu du modèle de partenariat pour la diffusion en libre accès : bâtir un avenir commun ».

(Lien vers l’intégralité de l’enquête)

 

Souhaitant favoriser une transition graduelle et concertée des revues savantes canadiennes vers le libre accès, Érudit a engagé, en 2014, des discussions avec le Réseau canadien de documentation pour la recherche (RCDR). L’objectif était de transformer les ententes commerciales conclues avec les bibliothèques de recherche du Canada en partenariat de soutien au libre accès, d’abandonner progressivement la vente d’abonnements avec embargo de 24 mois au profit d’un modèle de diffusion en libre accès financé directement par les institutions documentaires.

Cette enquête a été entreprise dans le triple objectif :

1) de mieux connaître la situation socio-économique des revues savantes canadiennes,

2) d’explorer les avantages et les inconvénients de ce modèle partenarial de soutien au libre accès,

3) d’anticiper les conséquences potentielles de son adoption sur les revues savantes diffusées par Érudit.

Méthodologie

Un sondage en ligne a été envoyé à 337 revues savantes canadiennes. 75 revues ont participé, parmi lesquelles 69 ont répondu à toutes les questions (56 en SHS et 13 en STM) et 6 à toutes les questions à l’exception de celles portant sur leurs finances. Il est à noter que les revues de Canadian Science Publishing, spécialisées en sciences, techniques et médecine (STM), n’ont pas participé au sondage. En raison de cette abstention, seul un petit nombre de périodiques de STM ont répondu. Par ailleurs, les publications diffusées par Érudit ont, proportionnellement, répondu en plus grand nombre. Ainsi, les résultats ne peuvent être considérés comme parfaitement représentatifs. Les dépenses et les recettes annuelles moyennes des revues ont été compilées afin d’estimer un coût par article. Toutefois, en raison de la non-représentativité de l’échantillonnage, cette donnée n’a pas été retenue. La présente étude dresse plutôt un portrait général de l’écosystème canadien de la publication savante ainsi que des tensions qui le sous-tendent. Afin de compléter les données recueillies par sondage, 36 entretiens individuels ont été menés auprès de représentants de revues dans le but de recueillir des données qualitatives sur la situation économique de leur organisation et de connaître leur opinion sur diverses initiatives de diffusion en libre accès. La recherche se conclue par une revue de la littérature sur les initiatives de diffusion en libre accès et sur les coûts de publication.

Synthèse des résultats – Portrait des revues savantes canadiennes

  • Les revues savantes canadiennes reposent sur une diversité de structures éditoriales et de modèles d’affaires.
  • Même si la majorité des revues sont maintenant diffusées en ligne, elles sont encore très nombreuses à publier une édition imprimée. Les ventes des éditions imprimées représentent encore une proportion importante de leur revenu.
  • Leur équilibre financier semble reposer sur cette cohabitation de l’imprimé et du numérique, car les deux versions comptent chacune pour le tiers de leurs revenus d’abonnement.
  • Les revenus annuels varient beaucoup : 30 000 à 80 000 dollars par an, bénévolat non compris.
  • Les coûts moyens de publication des revues sondées varient de 30 000 à 67 000 dollars par an.
  • Politique de diffusion des revues : 25% d’entre elles offrent un libre accès complet et immédiat, 13% le font au terme d’un embargo de 12 mois et 26% après un embargo de 24 mois. Seulement 36% des revues imposent de strictes restrictions de consultation.
  • 63% des revues du reste du Canada publient des articles dans les deux langues; 16% des articles publiés dans ces revues bilingues sont en français.
  • Les revues basées au Québec publient moins d’articles par an (22) que celles du reste du Canada (26).

 

Le modèle partenarial : forces, défis et scénarios

Selon un rapport produit par Raym Crow, consultant pour SPARC et une étude récente menée sous la direction de Peter Suber, ce modèle présente de nombreux avantages, mais aussi certains défis importants. Les avantages du modèle concernent sa facilité d’implantation, qui découle de sa similitude avec le modèle d’abonnement en vigueur, la possibilité de convertir au libre accès une masse critique de revues et, ce faisant, de permettre à tous les acteurs de la chaîne de réaliser d’intéressantes économies d’échelle. De plus, le modèle permet aux revues participantes de bénéficier de revenus, lorsque le nombre de bibliothèques partenaires est suffisant et donc de libérer les revues de leur dépendance au modèle de l’auteur-payeur

Les défis engendrés sont relatifs au phénomène de free-riding, où quelques institutions financent l’accès libre aux revues au bénéfice de l’ensemble de la communauté. Le risque se situe donc dans le possible désengagement progressif des membres une fois l’ensemble des revues converties au libre accès et dans la difficulté d’accroître le nombre de revues soutenues. Il est à noter, enfin, que faire marche arrière si le nombre de membres adhérents est trop faible semble une entreprise ardue, voire impossible à réaliser compte tenu du contexte financier difficile auquel font face les bibliothèques universitaires et de recherche.

Voici trois scénarios qui illustrent l’importance d’avoir une définition commune de la notion de « coûts de publication » — et soulignent l’ampleur du travail à entreprendre pour faire progresser le partenariat. Parce que les bibliothèques canadiennes ne disposent évidemment pas des ressources suffisantes pour couvrir les coûts de publication des revues, les parties prenantes doivent convenir d’une façon de déterminer et d’affecter les frais de partenariat en vue de soutenir durablement les publications savantes du Canada.

  • Scénario 1 : Les bibliothèques canadiennes financent entièrement les coûts de publication des revues canadiennes.
  • Scénario 2 : Les bibliothèques canadiennes compensent les revenus d’abonnement actuellement perçus par les revues.
  • Scénario 3: Les bibliothèques canadiennes contribuent à hauteur égale à la part des revenus d’abonnement qui leur est attribuable.

 

Conclusion et prochaines étapes

Il ressort des données recueillies et de la revue de la littérature et des discussions en cours entre Érudit et les membres du RCDR qu’il faudrait s’atteler aux tâches suivantes pour que le modèle de partenariat puisse se développer pleinement.

  • Dresser un portrait plus précis de la situation financière des revues canadiennes : recueillir des données détaillées sur les revenus et les dépenses des revues à partir d’un échantillonnage représentatif de la diversité des publications canadiennes.
  • Déterminer la contribution financière des partenaires et trouver une méthode de calcul équitable des redevances à verser aux revues.
  1. Élaborer une stratégie de prix adaptée à la situation financière et institutionnelle de chaque pays.
  2. Procurer des avantages aux bibliothèques afin de les inciter à participer (les inclure dans le processus décisionnel ou dans la gouvernance, par exemple).
  • Tenir compte de la diversité financière des revues.
    1. Laisser les revues décider de leur adhésion et les autoriser à se retirer au bout d’une période de temps déterminée.
  • Garder le contrôle sur la structure décisionnelle et maintenir l’efficacité du processus décisionnel.
    1. Mettre sur pied des comités spécialisés et/ou indépendants de la structure décisionnelle centrale.
    2. Affecter des ressources humaines qualifiées au maintien de la participation à long terme des membres.
  • Prévenir les conséquences du free-riding.
    1. Conclure une entente de partenariat pluriannuelle et y inclure des modalités de renouvellement, ou trouver une façon simple de renouveler l’engagement financier des bibliothèques membres chaque année.
    2. Élaborer un contrat d’assurance qui permette d’encadrer les conditions financières afin qu’elles soient motivantes pour les membres internes de l’offre collective et attractives pour les institutions extérieures [“frame the financial requirements explicitly, both as an internal motivation to implement potentially unattractive elements of a collective offering and as a credible participation threshold for external institutions.” (Crow, 2013, p. 20)].
  • Assurer la pérennité du partenariat.
    1. Élaborer un plan d’action pour une transition vers la diffusion en libre accès des collections de revues savantes d’Érudit en collaboration avec les bibliothèques, les éditeurs, les chercheurs et les organismes subventionnaires, en vue d’assurer la pérennité du modèle de partenariat et de convertir toutes les ententes existantes avec des bibliothèques canadiennes et étrangères.