Dans son discours du 2 avril 2019, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, est revenue sur les apports de la science ouverte pour les scientifiques et la société civile, et ses implications : nouvelles pratiques scientifiques et éditoriales, nécessité d'identifier les publications validées par la communauté scientifique.

Colloque « Prospective en science ouverte » : discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a adressé un message mardi 2 avril 2019 à l’occasion du colloque « Prospective en science ouverte »

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI

Je ne peux malheureusement pas être avec vous aujourd’hui mais je tenais néanmoins à vous adresser quelques mots à l’occasion de ce colloque consacré à la science ouverte.

Ce sujet prend une résonance toute particulière dans ce lieu qui depuis 5 siècles assure deux missions essentielles : diffuser la connaissance et protéger l’esprit de la recherche.

Pour l’une comme pour l’autre, la science ouverte incarne une formidable opportunité, sinon une nécessité. On ne peut aujourd’hui espérer garder le temple de la connaissance sans en ouvrir grand les portes.

Comment se satisfaire d’un monde où les mensonges se diffusent plus loin, plus rapidement, parfois plus en profondeur que la vérité ? Comment se satisfaire d’un monde où les résultats de la recherche financés sur fond public échappent en grande partie aux citoyens ? Comment se satisfaire d’un monde où se creusent les inégalités d’accès aux publications scientifiques entre universités du Sud et universités du Nord, entre PME et grands groupes, comment se satisfaire d’un monde où les produits de la recherche restent encore trop souvent confinés dans un cercle étroit alors même que nous n’avons jamais eu autant besoin de connaissances pour relever des défis inédits dans l’histoire de l’humanité ?

C’est ce monde que le mouvement pour la science ouverte se propose de changer en réactivant un principe cher aux humanistes et aux Lumières : la science est un bien commun qui doit profiter à tous. Ouvrir grand les vannes de la science, c’est lui permettre de revivifier le débat public et l’exercice démocratique, c’est lui permettre d’irriguer la démarche d’innovation et de stimuler l’activité économique. C’est servir la société, mais c’est aussi, en premier lieu, servir la science elle-même.

Car la science ouverte, j’en suis convaincue, est une chance pour l’excellence et l’intégrité scientifiques. Une science ouverte, c’est une science encore plus efficace qui évite les doublons, qui ne reproduit pas sans le savoir des expériences déjà menées ailleurs, c’est une science encore plus féconde qui se nourrit de toutes les connaissances créées aux 4 coins du monde, en un mot c’est une science véritablement éclairée, une science consciente d’elle-même qui n’ignore rien de ce qu’elle produit. Et ce n’est pas, ce n’est jamais, une science qui renonce à son autocritique. Bien au contraire.

Ouvrir la science c’est en effet l’exposer à davantage de regards critiques, de réfutations et de commentaires, qu’ils s’expriment spontanément dans le cadre des archives ouvertes comme HAL ou systématiquement dans le cadre des revues à comité de lecture en accès ouvert. Car s’il s’agit bien de réduire les coûts, il ne s’agit pas de faire l’économie de l’évaluation par les pairs, mais de réinventer autour de ce principe inaltérable un écosystème éditorial vertueux.

Un monde ouvert n’est pas un monde dérégulé ni déstructuré. Il ne suffit pas d’ouvrir et d’abattre des barrières, il faut construire, de nouveaux repères, de nouvelles pratiques, de nouvelles règles du jeu. C’est à la communauté scientifique de les inventer et de les faire à sa main et si j’ai lancé un plan national pour la science ouverte, c’est pour lui donner les moyens de s’engager dans ce chantier qui est un chantier pour sa propre liberté.

Ce plan porte une ambition claire et ferme : tous les articles et les livres issus de recherches financées par appel d’offres sur fonds publics – ainsi que les données quand la réglementation le permet – devront désormais être publiés en accès ouvert.  Mais il ne vise pas à imposer brutalement une obligation susceptible de bousculer les habitudes : il accompagne la communauté scientifique, pas à pas, dans son acculturation à ce nouveau paradigme, dans la recherche de solutions éthiques et dans le fait de faire évoluer le système éditorial.
La science ouverte suppose de nouvelles pratiques scientifiques : un appel flash « science ouverte » a donc été lancé jeudi dernier par l’A.N.R. pour aider la communauté à gérer autrement les données de la recherche, à en penser la structuration, la réutilisation, l’interopérabilité, en un mot le devenir, la durabilité.

La science ouverte suppose également de nouvelles pratiques éditoriales qui conjuguent la valeur ajoutée, critique et technique, de l’édition scientifique et l’accessibilité des produits de la science, qui ne peuvent rester cloîtrés derrières des péages prohibitifs.  Il y a donc un nouveau modèle économique de l’édition scientifique à inventer, un modèle qui ne peut pas reposer sur une solution unique, car la recherche est résolument plurielle, dans ses objets d’étude comme dans ses besoins et ses pratiques en matière de publication. Un fonds national pour la science ouverte sera donc créé d’ici l’été et un appel à manifestation d’intérêt sera lancé peu après afin d’encourager les initiatives éditoriales innovantes et de faire vivre cette bibliodiversité.

Par ailleurs, nous le savons, nous ne pourrons pas faire bouger les lignes du paysage éditorial actuel tant que nous n’aurons pas fait évoluer les critères d’évaluation des chercheurs vers une appréciation accordant plus de place à une approche qualitative, dans le sillage de la déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (DORA). Edition et évaluation sont aujourd’hui intriquées dans un pacte aux accents parfois faustiens. La course à la publication, le fameux diktat du « publish or perish » ont rendu la recherche otage d’un système qui s’est emballé en tirant partie de ce rapport de force déséquilibré. La science ouverte, c’est aussi une opportunité pour la communauté scientifique de reprendre en main son destin et de redéfinir ce qui fait sa valeur.

Ne soyons pas naïf, la science ouverte a aussi ses failles et ses brèches, dans lesquelles des revues prédatrices tentent régulièrement de s’engouffrer. C’est pourquoi il est important de baliser ce nouveau monde de repères et de références fiables qui permettent de distinguer clairement l’édition ouverte de ses contrefaçons.  Les bases de données DOAJ et DOAB, qui répertorient les revues et les ouvrages scientifiques dont le contenu est évalué par les pairs et en libre accès, représentent des jalons importants dans la topographie de la science ouverte. C’est pourquoi, conformément au plan annoncé le 4 juillet 2018, la France a souhaité porter avec les Pays-Bas une fondation entièrement dédiée à DOAB, dont la création juridique vient d’être finalisée. Elle permettra de garantir dans la durée une certification internationale de la qualité des ouvrages scientifiques en accès ouvert.

Car c’est bien sûr à cette échelle, celle de l’Europe et celle du monde, que nous devons penser et organiser ces pratiques ouvertes si nous voulons leur donner un vrai pouvoir transformateur.

C’est pourquoi la France contribue activement à la structuration du paysage international de la science ouverte, en soutenant le Plan S qui promeut la publication en libre accès des recherches financées par les deniers publics, en participant au projet de cloud européen scientifique EOSC, en rejoignant l’initiative GO FAIR portée par la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, qui vise à rendre les données Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables et Réutilisables.

Un changement culturel profond s’est amorcé au travers du mouvement pour la science ouverte. Il est l’occasion pour l’Europe de réaffirmer son identité et son unité autour de la libre circulation des savoirs, il est l’occasion pour la France de défendre son attachement à la démocratisation de la connaissance et à la diversité des pratiques scientifiques, il est l’occasion pour les chercheurs de reprendre le contrôle sur le devenir de leurs productions.

Il y a plusieurs manières de s’emparer de ces enjeux : la science ne serait pas la science si elle ne ménageait pas constamment, en filigrane de l’action, le débat.