Devenez cueilleurs de météorites

Plusieurs météorites de taille moyenne tombent sur le territoire français chaque année.Yoann Gruson-Daniel, FRIPON/Vigie-Ciel, CC BY-NC-SA

Que s’est-il passé début mars dans le Lot-et-Garonne à proximité de la ville d’Aiguillon ? Une question était sur toutes les lèvres, dans le supermarché, au détour d’un champ, au coin d’une rue : « Alors ? Est-ce que vous l’avez trouvée ? » Un peu plus loin, on pouvait apercevoir une ligne formée de personnes, masquées et concentrées, les yeux scrutant le sol, à la recherche de l’objet qui manque à l’appel.

Des journalistes sont également venus par dizaines pour couvrir cet événement insolite.

Tout le monde cherchait une météorite.

Tout a commencé le samedi 27 février 2021 à 22h43, lorsqu’une magnifique étoile filante très lumineuse, aussi appelée « bolide », a survolé le sud-ouest de la France, sous les yeux de plusieurs dizaines de témoins. Certains se sont manifestés sur les réseaux sociaux en parlant de météore brillant, d’étoile filante et parfois de météorites – une observation inhabituelle, qui les a marqués. Après la surprise, des questions : est-ce que d’autres ont vu ce même phénomène ? À quoi correspond-il ? Est-ce que des météorites sont tombées sur Terre ?

Ces mêmes questions intéressent les astronomes et les cosmochimistes qui s’intéressent aux processus de formation du système solaire.

Quelle est l’origine de la lumière des étoiles filantes

Lorsqu’un fragment d’astéroïde, de planète, et parfois de comète vient à la rencontre de la Terre, il pénètre l’atmosphère à une vitesse « cosmique », allant de quelques dizaines à quelques centaines de milliers de kilomètres à l’heure.

L’atmosphère ayant une densité très supérieure à celle du milieu interplanétaire, le bolide est brutalement ralenti par cette rencontre. Il va avoir tendance à se fragmenter, tandis que l’air, violemment comprimé, est porté à des températures gigantesques, entre 10000 et 20000 kelvins (à de telles températures, c’est à peu près le même chiffre en degré Celsius). On peut comparer cette température à celle de la surface du Soleil, de 5700 kelvins. L’air ainsi échauffé s’ionise, c’est-à-dire que des électrons sont arrachés aux atomes, et il devient ainsi un plasma qui émet de la lumière.

Le bolide du 27 février 2021 filmé par la caméra Fripon de Cahors, dans le Lot.
Fripon/Vigie-Ciel, Author provided

Ainsi, ce n’est pas l’objet lui-même, ni ses fragments, que l’on voit briller, mais l’air ionisé qui les entoure. À une altitude variable, qui dépend de la taille de l’objet, de sa vitesse et de son angle d’incidence, le phénomène lumineux s’interrompt, car le bolide s’est ralenti et la pression n’est plus suffisante pour que l’air se transforme en plasma. Les reliquats de l’objet finiront par tomber en chute libre en étant soumis aux vents qui circulent dans l’atmosphère – on parle de « vol sombre ». Ces processus sont les mêmes quelle que soit la taille de l’objet incident, mais une fine poussière n’atteindra pas le sol. Elle sera volatilisée bien avant et n’engendrera qu’une petite traînée, à savoir une étoile filante.

Les météorites, traces précieuses des origines du système solaire

La traversée de l’atmosphère porte les fragments rocheux à une température suffisamment haute pour que leur couche superficielle se liquéfie, puis se fige lorsque le plasma s’éteint. Ceci forme une mince pellicule vitreuse noire, la « croûte de fusion », tout à fait caractéristique des météorites. L’aspect des météorites que l’on retrouve sur le sol résulte directement de ces processus qui se produisent lors de la traversée de l’atmosphère.

Les météorites nous fascinent par leur origine extraterrestre et leur arrivée souvent spectaculaire. Mais ce sont aussi des objets d’investigation scientifique. En effet, la Terre comme les autres planètes telluriques a fondu après sa formation et a ainsi perdu une partie de la mémoire de ses origines. C’est grâce aux météorites dites « primitives » (ou chondrites), provenant de corps planétaires qui ont été peu modifiés depuis leur formation, que l’on connaît l’âge du système solaire. Les météorites provenant de corps planétaires fondus nous renseignent, elles, plutôt sur la structure interne des planètes.

Nous sommes loin d’avoir décrypté tous les messages qu’elles renferment. Bien qu’on estime qu’il tombe en moyenne chaque année quelques météorites de taille « visible » en France, on n’en connaît pas plus de quarante-cinq pour le XIXe siècle et seulement huit pour le XXe siècle. Ces trouvailles ne représentent que moins de 10 % des météorites tombées en France. En effet, les retrouver reste compliqué, car la France est avant tout un pays recouvert de terrains agricoles et de forêts.

Un réseau de caméras pour observer les bolides célestes

Aujourd’hui, ce sont des yeux connectés qui scrutent le ciel. Dans le Lot-et-Garonne fin février, des témoins ont témoigné sur un formulaire dédié en renseignant l’heure, la durée, la direction, l’altitude, la couleur ou encore le son associé. Grâce au réseau Fripon/Vigie-Ciel et à l’American Meteor Society, ces observations sont restituées sous la forme d’une carte ludique, qui contient aussi la trajectoire calculée automatiquement à partir des témoignages.

Carte des témoins du bolide du 27 février 2021, avec la trajectoire déduite de leurs observations.
IMOVigie-Ciel, Author provided

« Magnifique presque irréel comme un feu d’artifice qui devient très lumineux avant de s’éteindre rapidement. » (Nathalie S., 22h50, Montayral, Nouvelle-Aquitaine)

« Soirée de pleine lune, une deuxième lumière bien plus intense que la pleine lune a éclairé fortement notre chemin. » (Olivier D., 22h50, Fargues-sur-Ourbise, Nouvelle-Aquitaine)

« Visualisation de traînées vertes/bleues à l’arrière du bolide, mais non persistantes. Quelle sensation impressionnante ! » (Eva K., 22h42, Pouyastruc, Occitanie)

« Nous pensions que cette météorite avait chuté près d’ici tellement cela semblait proche ! » (Barbara F., 22h40, Saint-Pardoux-le-Lac, Nouvelle-Aquitaine)

Au même moment, d’autres yeux d’un tout autre type scrutaient le ciel et ont capturé l’événement, il s’agissait de 9 caméras du réseau international Fripon (pour Fireball Recovery and InterPlanetary Observation Network), qui surveille le ciel nocturne pour détecter les bolides les plus brillants et déterminer leur provenance et le lieu de chute éventuels de météorites. Plus de 5000 orbites ont été ainsi déterminées depuis 2015, concernant pour une partie des objets cométaires et pour l’autre des objets provenant d’astéroïdes.

Plusieurs paramètres sont ensuite déterminés à partir des données de détection grâce à la chaîne de calculs mise en place par les astronomes impliqués dans le projet. Ils permettent de conclure à une chute probable de météorites : altitude finale de l’objet, magnitude, vitesse, notamment. C’est ce qui s’est passé pour cet événement. La masse déduite de l’objet était environ de 150 grammes.

Trajectoire du bolide du 27 février 2021 à 22h43, déduite des caméras Fripon.
Fripon/Vigie-Ciel, Author provided

En parallèle, la trajectoire et la zone de chute finale ont été déterminées en croisant les données recueillies et des paramètres comme le vent qui peut déporter l’objet dans les derniers kilomètres.

Campagne de recherche sur le terrain

C’est à partir de ces informations, relayées par la presse locale, que les habitants proches de la zone de chute se sont mis en quête des météorites.

La recherche a été organisée par le relais Fripon/Vigie-Ciel le plus proche, il s’agit de l’association À Ciel ouvert/La Ferme des étoiles dont les membres ont été formés aux protocoles Vigie-Ciel, qui visent à impliquer tous les curieux et passionnés dans la recherche scientifique. Outre les témoignages lors d’une observation de bolide, tout un chacun peut rechercher des météorites fraîchement tombées – selon un protocole défini afin d’optimiser l’organisation en cas d’alerte, dans le respect des propriétés privées, des terrains agricoles et du projet de recherche scientifique –, mais aussi rechercher de nouveaux cratères d’impact sur des images satellites et topographiques.

Les médiateurs, les chercheurs, les passionnés, les curieux se sont ainsi retrouvés dans un objectif commun qu’une participante résume en quelques phrases « J’ai su par le journal local que des météorites étaient tombées dans ma ville, il était logique que je vienne chercher ce bien commun avec vous ». Pendant une semaine, ils se sont relayés pour parcourir la zone indiquée, interroger les passants, distribuer des tracts, demander des autorisations d’accès aux terrains aux propriétaires et les inviter à participer. Les participants ont été formés à reconnaître les principales caractéristiques des météorites (faces planes, angles émoussés, croûte de fusion noire, objets denses).

Recherche de météorites par des amateurs, des curieux, des médiateurs et des chercheurs, en mars 2021 dans le Lot-et-Garonne.
Fripon/Vigie-Ciel/À Ciel ouvert, Author provided

Les météorites d’Aiguillon n’ont malheureusement pas été retrouvées, il faut dire qu’une grande partie de la zone de chute est inexploitable, comme le Lot qui la traverse la zone de recherche par exemple, et les terrains labourés entre l’observation et la recherche sur le terrain. D’autres ont eu plus de chance, c’est ainsi que les données du réseau Fripon ont permis de retrouver des météorites : le 1ᵉʳ janvier 2019 en Italie. Plus récemment, le 28 février 2021 en Angleterre ce sont des météorites très rares qui ont été retrouvées par des citoyens suite à une alerte donnée par les différents réseaux de surveillance, dont le réseau Fripon.

Ces météorites n’auraient peut-être pas été retrouvées sans la collaboration des réseaux amateurs et professionnels, la curiosité des habitants et le rôle déterminant de la presse et des médias pour diffuser l’alerte et expliquer le protocole à suivre.

À Aiguillon, à Roanne, Chambord, Sceautres, Besançon, dans toutes les villes et les régions où des alertes ont été données et où les habitants ont vécu quelques jours au rythme de la recherche de ces objets convoités, on nous demande : « On recommence quand ? »

On recommencera dès que l’alerte sera à nouveau donnée. Et cette fois, elle le sera peut-être par les citoyens eux-mêmes, car les détections du réseau Fripon sont désormais accessibles à toutes et à tous à travers une base de données ouverte. Cette base vous permet d’accéder en temps réel aux événements capturés, aux photos de caméras, vidéos, et à différents paramètres déduits par les calculs, comme l’altitude ou la vitesse de l’objet.

Les sciences participatives, un levier pour faire avancer la recherche

Le projet Fripon/Vigie-Ciel illustre ainsi sur le terrain la contribution de citoyens à la recherche scientifique. D’autres participants le font dans de nombreux domaines : en relevant des données sur la biodiversité, en contribuant à des projets de recherche médicale, en signalant de nouveaux sites géologiques, en transcrivant des carnets de fouille archéologique ou encore en enregistrant leur environnement sonore par exemple.

Les sciences participatives sont une des facettes de la science ouverte et permettent aux curieux, aux amateurs et aux professionnels de construire des connaissances partagées pour répondre à des questions communes, chacun apportant sa pierre à l’édifice. Gageons que la prochaine sera extraterrestre !

Coupures de presse locale et nationale couvrant la recherche de météorite fin février et début mars.
Asma Steinhausser, Author provided

Pour participer à la recherche de météorites et en apprendre plus sur le projet, visitez le site vigie-ciel.org ou retrouvez-nous sur Facebook et Twitter.

Le projet Fripon existe à travers le monde fripon.org.


The Conversation
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Sylvain Bouley / Asma Steinhausser
Professeur, Université Paris-Saclay / Cheffe de projets sciences participatives, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Note : les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans les articles de la série "Les belles histoires de la science ouverte" n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient constituer l’expression d’une position du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.