Alertes aux séismes et tsunamis : comment gagner de précieuses secondes

 

Arrivée du tsunami de 2004 à Ao Nang an Thaïlande. David Rydevik/Wikipedia, CC BY

Lors du mégaséisme à Sumatra en 2004, la faille a rompu sur une longueur supérieure à 1 300 km pendant une dizaine de minutes. Ce séisme a généré un tsunami atteignant localement les 30 mètres de hauteur, qui a considérablement étendu la région affectée par le séisme et causé plus de 220 000 victimes dans 14 pays sur le pourtour de l’océan Indien. Bien que le tsunami ait pris plusieurs heures pour atteindre certaines régions comme en Inde ou au Sri Lanka, la plupart des victimes n’ont pas été prévenues du danger. Quinze ans après le séisme de Sumatra, les systèmes d’alerte permettent aujourd’hui de limiter l’impact des tremblements de terre.

Comment développons-nous les nouveaux systèmes d’alerte sismiques et tsunamis, permettant de se mettre à l’abri rapidement ? Une des clés est d’avoir accès à des données sismologiques en temps réel.

Alerter de l’arrivée d’un tsunami grâce aux ondes sismiques

Le séisme de Sumatra en 2004 a donné un coup d’accélérateur au développement de méthodes d’alerte tsunami : c’était la première fois qu’un tremblement de terre d’une telle ampleur était mesuré par un réseau de sismomètres modernes, avec des données ouvertes et disponibles en temps réel. La rupture sismique était d’une dimension tellement importante qu’il a fallu plusieurs heures pour déterminer sa magnitude (sa taille).

Lorsqu’un séisme a lieu sous l’océan, le plancher océanique se déplace, ce qui peut engendrer un tsunami. Mais les ondes sismiques se propagent beaucoup plus rapidement dans la Terre solide qu’un tsunami ne se déplace en pleine mer – au moins 40 fois plus vite, si on considère les ondes les plus rapides. On peut donc détecter ces ondes avant que le tsunami n’atteigne la côte, et obtenir rapidement une information sur le caractère « tsunamigénique » du séisme. L’occurrence d’un tsunami peut ensuite être vérifiée par des bouées en pleine mer mesurant la hauteur des vagues.

Au premier ordre, l’ampleur d’un tsunami est contrôlée par la localisation, la taille et la géométrie de la rupture sismique. Parmi les différentes approches employées pour l’alerte au tsunami, un signal sismique appelé phase W permet d’évaluer rapidement ces paramètres. Ce signal, de très grandes longueurs d’onde, est particulièrement sensible à la magnitude du séisme et nous donne une information robuste sur la source sismique en 20 ou 30 min, même si la rupture est très grande ou très complexe. Si le réseau sismologique est suffisamment dense localement, il est possible d’obtenir des estimations plus rapidement en utilisant des données régionales, en moins de 10 min.

Les systèmes d’alerte au tsunami ont véritablement été testés pour la première fois lors du mégaséisme de Tohoku au Japon en mars 2011. Cet événement d’une magnitude comparable au séisme de Sumatra en 2004 a généré un tsunami majeur. Une première alerte au tsunami a été déclenchée rapidement par l’agence météorologique du Japon, laissant au moins cinq minutes pour évacuer les côtes les plus proches. Une estimation plus robuste de la taille du séisme a été obtenue en 20 minutes, permettant d’évacuer les côtes sur plusieurs pays autour de l’Océan Pacifique. L’alerte a permis de réduire l’impact du tsunami. Le nombre de victimes lié au séisme japonais est ainsi 10 fois inférieur au bilan humain lors du séisme de Sumatra en 2004.

Vue aérienne d’Ishinomaki, au Japon, dévastée par le séisme de Tohoku et le tsunami qui s’ensuivit.
Lance Cpl. Ethan Johnson/US Marine Corps

Alerter en quelques secondes de l’arrivée de secousses sismiques

La disponibilité en temps réel des données permet le développement de systèmes d’alerte encore plus rapides pour prévenir de l’arrivée de secousses sismiques. Ces systèmes reposent sur le fait que les ondes les plus destructrices (les ondes de cisaillement) se propagent plus lentement que les ondes compressives qui sont de plus faible amplitude et donc généralement moins destructrices. Lorsqu’un séisme se produit, les vibrations compressives peuvent être détectées rapidement à proximité de la source. Cette information peut être transmise et traitée presque instantanément pour émettre une alerte en quelques secondes, avant l’arrivée des vibrations cisaillantes plus destructrices.

Comment fonctionnent les alertes précoces pour les séismes ? Les ondes P correspondent aux ondes compressives de faible amplitude. Elles se propagent rapidement et arrivent avant les ondes S cisaillantes, qui sont plus destructrices. USGS, public domain

Ces techniques d’alertes précoces sont opérationnelles, notamment au Japon, au Mexique, en Californie. L’alerte est diffusée via des sirènes et des messages sur téléphone, à la radio et à la télévision. Quelques secondes suffisent pour prendre des mesures basiques de protection : s’éloigner des fenêtres, se mettre sous une table, arrêter les trains automatiquement pour prévenir le risque de déraillement, stopper les opérations chirurgicales, etc.

Avec une telle rapidité, les estimations de la magnitude du séisme peuvent parfois être imprécises. Pour les plus gros séismes, la faille peut rompre pendant plusieurs minutes et il faut alors déclencher l’alerte avant même que la rupture soit terminée. Cette limite est associée à un débat d’actualité en sismologie : est-il possible de déterminer la taille d’un séisme avant même que la rupture soit terminée ? Tous les grands séismes commencent par une petite rupture, quasiment ponctuelle, qui grandit pour se propager sur de grandes distances. Plusieurs études récentes suggèrent que la croissance des ruptures est identique pour les grands et les petits séismes. Certaines différences semblent apparaître après cette phase initiale de croissance car la rupture met un certain temps à s’arrêter. Ces observations suggèrent qu’il est possible d’estimer rapidement la magnitude d’un séisme avant que la rupture soit totalement terminée.

Une culture historique des données ouvertes en sismologie

Encore faut-il avoir accès aux données en temps réel, pour faciliter les applications opérationnelles sur le terrain, comme les alertes sismiques ou le dimensionnement rapide des opérations de secours suite à un fort séisme.

Le déploiement du réseau sismologique mondial s’est fait dans les années 1960, à la suite des discussions sur l’arrêt des tests nucléaires à la fin des années 1950 : il a été financé pour permettre la détection d’essais souterrains. Bien au-delà de la surveillance nucléaire, ce réseau a permis l’acquisition de données nécessaires à la recherche fondamentale en sismologie. Il comportait notamment un système de distribution ouvert garantissant un accès aux données sur demande. Le réseau sismologique mondial permet aujourd’hui de caractériser plusieurs milliers de séismes tous les ans.

Carte de la sismicité globale depuis 1964. Chaque point correspond à un séisme. La couleur représente la profondeur du séisme.
International Seismological Center, Author provided

L’accès libre aux observations favorise la standardisation des moyens de mesure, de traitement et de partage des données. Au Japon par exemple, les données sismologiques ont pendant longtemps été acquises et traitées indépendamment par différentes organisations. Suite au séisme de Kobe en 1995, qui a causé des dégâts importants, un projet d’ampleur a été mis en place pour améliorer les moyens d’observation. Aujourd’hui, le Japon possède l’un des réseaux sismologiques les plus denses au monde, avec plusieurs centaines de capteurs sismologiques fournissant des données de qualité et publiquement accessibles. Ces observations sont utilisées par l’agence météorologique japonaise pour la surveillance de l’activité sismique et l’alerte sismique.

Des capteurs à bas coût permettent de multiplier les mesures et d’impliquer les citoyens

Le développement de sismomètres à bas coût permet aujourd’hui une véritable démocratisation de la sismologie, qui devient une science participative. Ces capteurs sont généralement des accéléromètres basés sur des systèmes micro-électro-mécaniques de taille extrêmement réduite, et permettent le déploiement de réseaux citoyens, déployés chez les particuliers. Ces accéléromètres sont également présents dans beaucoup d’ordinateurs et de smartphones et peuvent être utilisés pour détecter des secousses sismiques. Bien qu’ils soient beaucoup moins sensibles que des sismomètres conventionnels, les capteurs à bas coût ont une véritable utilité pour caractériser les mouvements associés aux séismes proches : les données produites directement par les particuliers peuvent être utilisés pour le suivi de sismicité et pour l’alerte sismique.

Sismomètre bas-coût &ldquo ;Raspberry Shake&rdquo ;.
Marc Grunberg/École et Observatoire des Sciences de la Terre

L’amélioration des moyens observationnels a révolutionné notre compréhension des failles et des séismes. La combinaison de données sismologiques avec les méthodes de géodésie spatiale (systèmes de positionnement comme les GPS, interférométrie radar) a mis à jour de nouveaux processus de déformation tectonique. Si les tremblements de terre sont les manifestations les plus visibles de l’activité des failles, on sait aujourd’hui qu’il existe des séismes lents, pendant lesquels la faille glisse pendant plusieurs jours voire plusieurs mois sans générer d’ondes sismiques. Ces déformations transitoires sont souvent associés à une superposition de petits craquements enregistrés par les sismomètres. Dans certains cas, ces évènements semblent précéder l’occurrence de grands séismes ou des effondrements majeurs de caldeira volcaniques.

Bien qu’on soit très loin de parler de prévision des séismes, ces observations suggèrent qu’il est possible de détecter de faibles changements lors de la préparation des grands tremblements de terre. L’amélioration des réseaux sismologiques et géodésiques est fondamentale pour comprendre ces phénomènes et limiter l’impact des séismes sur nos sociétés.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Zacharie Duputel
Sismologue, Chargé de recherche au CNRS, Institut de Physique du Globe de Strasbourg, Ecole et Observatoire des Sciences de la Terre
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