Afin de contribuer à organiser les réflexions sur les avantages et les inconvénients des modes multiples d'édition scientifique, un groupe de travail de Knowledge Exchange propose un document de cadrage. La prochaine étape portera sur le développement d'une taxonomie de ces différentes formes de communication.

Activité de Knowledge Exchange : Plateformes de publication “alternatives”

21 avril 2022

Page web de l’activité : https://knowledge-exchange.pubpub.org/pub/73tb00rf

Chefs de file du projet

Jeroen Sondervan (Université d’Utrecht), Jean-Francois Lutz (Université de Lorraine), Mafalda Marques (Jisc), Anna Mette Morthorst (DEIC), Karin van Grieken (SURF).

Membres du groupe de travail
Daniel Beucke (Bibliothèque universitaire de Goettingen), Xenia van Edig (Technische Informationsbibliothek (TIB)), Serge Bauin (CNRS), Alexandra Freeman (Université de Cambridge), Janne-Tuomas Seppänen (Université de Jyväskylä), Rasmus Rindum Riise (Bibliothèque universitaire de Copenhague / Bibliothèque royale danoise ), Claus Rosenkrantz Hansen (Copenhagen Business School), Arianna Becerril-Garcia (AmeliCA), Saskia Woutersen-Windhouwer (Université de Leide), Bianca Kramer (Université d’Utrecht).

 

La traduction française a été assurée par Serge Bauin (DDOR-CNRS) et Jean-François Nominé (Inist-CNRS).

Introduction

Les résultats de la recherche sont traditionnellement publiés sous forme d’articles académiques évalués par des pairs, de monographies et d’ouvrages collectifs, de comptes rendus de congrès ou de thèses, les maisons d’édition scientifiques étant les principaux canaux à assurer la publication de ces résultats. Pour que les institutions de recherche puissent mettre les résultats des recherches à la disposition de leurs chercheurs et de leurs étudiants, elles doivent passer des contrats d’abonnement à des revues et monographies. L’un des problèmes de ce processus de publication et de visibilisation de contenus savants tient au fait qu’il est devenu de plus en plus coûteux pour les institutions de recherche et qu’il les a contraintes à conclure des contrats forfaitaires de grande ampleur (ou big deal) avec un nombre limité d’éditeurs [1]V. par ex. : Shu, F., et. al. (2018). Is It Such a Big Deal? On the Cost of Journal Use in the Digital Era.College and Research LIbraries: Vol 79, No 6. DOI: https://doi.org/10.5860/crl.79.6.785.
Sjoberg, C. (2017). E-Journals and the Big Deal: A Review of the Literature. School of Information Student Research Journal, 6(2). https://doi.org/10.31979/2575- 2499.060203.
Larivière, V., Haustein, S., & Mongeon, P. (2015). The Oligopoly of Academic Publishers in the Digital Era. PloS one, 10(6), e0127502. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0127502.
Buranyi, S. (2017, 27 June). ‘Is the staggeringly profitable business of scientific publishing bad for science?’ | Science, The Guardian.
Anonyme (2018, 21 November) ‘Time to break academic publishing’s stranglehold on research’, New Scientist.
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Plus récemment, les changements intervenus dans le paysage de la communication savante ont encouragé l’émergence d’autres formes de communication et de diffusion des résultats. C’est le cas, par exemple, des dépôts de prépublications, des publications de données (data papers), des blogs et sites web de chercheurs, ainsi que d’innovations comme les procédures ouvertes d’examens par les pairs et les micropublications [2]2021 – Alternative modes of publication – University of Wolverhampton (wlv.ac.uk). Nous voilà en présence de formes de publication innovantes qui cherchent à éliminer les barrières, les contraintes et les coûts imposés par les maisons d’édition classiques.

Dans le titre de cette activité et de ce document de cadrage, nous utilisons le terme « alternative », qualificatif par lequel nous représentons précisément les types de plateformes et de projets d’édition qui suivent des voies différentes (par exemple, dans le caractère équitable du modèle d’édition, le contrôle de la qualité, les fonctionnalités techniques, le recours à l’open source, leurs flux de travail d’édition itératifs, etc.) comparativement aux éditeurs traditionnels déjà mentionnés. Bien que nous utilisions ce terme « alternative », nous reconnaissons que cela peut également conduire à une interprétation restrictive, voire à une ambiguïté. Si nécessaire, nous essayons de corriger ce problème ou de le faire apparaître explicitement dans nos résultats.

De nombreux acteurs ont exploré des formes alternatives de publication au cours des deux dernières décennies, la publication en libre accès étant la plus largement connue. Celle-ci englobe, par exemple, le fait de faire paraître des articles examinés par des pairs dans des revues en libre accès intégral (avec ou sans frais de traitement des articles, ou APC), dans des revues hybrides (revues sur abonnement qui permettent de publier en libre accès moyennant le paiement de redevances de traitement des articles) ou via le dépôt des résultats de la recherche dans une archive ouverte (voie verte). Un des problèmes qui est remonté en surface en conséquence de la mise à disposition gratuite des résultats de la recherche provient du fait qu’un vaste secteur commercial s’est appuyé sur l’édition de revues comme source de revenus, avec des marges bénéficiaires souvent importantes. Ces acteurs commerciaux ont acquis un pouvoir considérable sur le monde académique parce que l’évaluation de la recherche y est devenue intimement dépendante de l’acte de publication dans les revues, ce qui en fait presque l’alpha et l’oméga de l’activité des chercheurs. Il en découle que les institutions de recherche consacrent une part importante de leur budget à l’accès aux publications des revues, que ce soit par le biais des chercheurs eux-mêmes qui versent les APC ou le fait qu’elles signent elles-mêmes des accords de transformation [3]Transformative Agreements – ESAC Initiative (esac-initiative.org).

Au niveau mondial, beaucoup ont critiqué le recours aux revues basées sur les APC comme procédé exclusif pour développer l’accès ouvert. Cette critique énonce que cela ne fait que déplacer la charge financière de ceux qui veulent lire à ceux qui veulent publier et crée donc de nouvelles inégalités. En outre, en liant les recettes de l’éditeur au nombre d’articles acceptés, le système des APC risque de favoriser l’amoindrissement des normes scientifiques d’acceptation dans les revues [4]V. par ex. : billet de blog par Chiodelli, F. (2021, 27 January) Why we should stop publishing in open access journals with article processing charges? & Budzinski, O., Grebel, T., Wolling, J. et al. (2020). Drivers of article processing charges in open access. Scientometrics 124, 2185–2206). https://doi.org/10.1007/s11192-020-03578-3.. Les modèles de publication de revues Diamant (c’est-à-dire « lecture gratuite, publication gratuite ») méritent qu’on y prête attention comme moyen de rendre les articles de recherche librement accessibles aux lecteurs tout en évitant les inconvénients potentiels de la publication financées par APC. Les revues diamant qui existent passent parfois pour n’avoir pas besoin d’être encouragées du tout, car elles sont déjà entièrement en accès libre et ne réclament aucune redevance aux auteurs. Cependant, on ne peut passer ces revues (souvent comparativement plus modestes) sous silence pour qu’elles puissent rester des canaux de publication viables.

Il existe des projets visant à instaurer des possibilités d’édition de revues diamant pour les institutions, et à soutenir le développement de revues nouvelles et existantes de ce type sur le plan des infrastructures et de la visibilité, par exemple grâce à des plateformes de revues nationales et régionales.

Si on ne peut considérer toutes les revues diamant comme des (plateformes d’) éditions alternatives, il ne fait de doute qu’elles peuvent utiliser des plateformes d’édition alternatives comme infrastructures (y compris avec de nouveaux modèles de gouvernance plus inclusifs). En outre, des plateformes d’édition alternatives peuvent adopter des modèles diamant. Le lien entre les revues diamant et les plates-formes de publication alternatives tient en ce qu’elles peuvent toutes deux jouer un rôle dans la satisfaction du besoin ressenti envers une forme de libre accès caractérisée par la réduction des coûts et le maintien d’un contrôle sur le processus l’édition, dans des conditions de gouvernance publique et universitaire. Outre le problème du coût, plusieurs besoins des chercheurs ne sont pas satisfaits par la publication dans les revues traditionnelles et c’est pourquoi les plateformes alternatives voient le jour.

Les plateformes de publication alternatives

Au cours de la dernière décennie, un écosystème dynamique de plateformes de publication alternatives en libre accès a vu le jour, dont beaucoup visent à résoudre certains des problèmes perçus dans le système de publication des revues, le coût mis à part. Ces plateformes s’éloignent de la revue classique comme principe organisateur. Elles peuvent se différencier des revues savantes traditionnelles de maintes façons, notamment par le processus de publication, la gouvernance et les infrastructures qui les portent.

Souvent, elles s’adressent à un champ disciplinaire plus large, prévoient la publication de versions soumises ou de prépublications [5]Chiarelli, Andrea, Johnson, Rob, Pinfield, Stephen, & Richens, Emma. (2019, 24 September). Accelerating scholarly communication: The transformative role of preprints. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.3357727 et pratiquent une évaluation ouverte par les pairs. L’accent est fréquemment mis sur la libre disponibilité du contenu, la transparence et l’efficacité plutôt que sur la sélectivité ou le prestige.

Les plateformes de publication alternatives peuvent également s’axer sur un ou plusieurs des aspects suivants:

  • rapidité de publication (par exemple, les dépôts de préprints et la prépublication sur F1000) ;
  • refonte du processus d’examen par les pairs (par exemple, Copernicus Publications ; SciPost ; F1000 open review ; Peerpub, Peer Community In) ;
  • reproductibilité et réplicabilité des résultats de la recherche (comme dans l’Open Science Framework ; les articles de recherche exécutables d’eLife) ;
  • biais de publication ; structures d’incitation.

La valeur des plateformes d’édition alternatives ne doit pas être sous-estimée. Elles peuvent représenter non seulement des exemples de communication savante innovante et en libre accès, mais aussi des « infrastructures de menace » efficaces pour les éditeurs de revues classiques [6]Martin P. Eve, “The Emergence of Threat Infrastructures: Plan S and Behavioral Change”. (2020, 3 July). https://eve.gd/2020/07/03/the-emergence-of-threat-infrastructures-plan-s-and-behavioral-change/.. Selon le point de vue, l’acquisition de F1000Research par Taylor & Francis confirmerait l’importance d’une telle menace ou à l’inverse en montrerait l’effet limité. On peut observer un certain nombre de développements, qui sont mis en place par différents acteurs, avec des visées spécifiques en tête.

Nous allons identifier trois exemples où divers aspects du côté « alternatif » s’expriment.

Les plateformes de financeurs de la recherche

Il existe de notables exemples de plateformes de publication alternatives à avoir été lancées par des financeurs tels que le Wellcome Trust, la Fondation Bill & Melinda Gates, le Irish Health Board et, plus récemment, la Commission européenne avec son Open Research Europe (tous les quatre utilisant l’infrastructure et le modèle de publication fournis par F1000Research) [7]Tony Ross-Hellauer, Birgit Schmidt, Bianca Kramer (2018). “Are funder Open Access platforms a good idea?” PeerJ Preprints 6:e26954v1, https://doi.org/10.7287/peerj.preprints.26954v1..

Plateformes régies par des acteurs (institutionnels/nationaux/régionaux)

Aux Pays-Bas, les plateformes d’édition alternatives constituent l’un des cinq piliers de la stratégie nationale d’accès ouvert des universités néerlandaises (UNL) de 2018 [8]VSNU. Naar 2020: voortgang op de vijf pijlers (2019). In: VSNU, Open access – International alignment. https://www.vsnu.nl/open-access-international-alignment/naar-2020-voortgang-op-de-vijf-pijlers.html.. Jusqu’à présent, ces initiatives n’ont pas reçu le même niveau d’attention de la part des institutions de recherche que celui accordé à la négociation d’accords de transformation avec les éditeurs traditionnels. L’initiative « University Journals  » [9]Woutersen-Windhouwer, S., Méndez Rodríguez, E., Sondervan, J., & Oort, F. J. (2020). UNIVERSITY JOURNALS: Consolidating institutional repositories in a digital, free, open access publication platform for all scholarly output.
LIBER Quarterly: The Journal of the Association of European Research Libraries, 30(1), 1–15. https://doi.org/10.18352/lq.10323
, annoncée en 2018, mais restée à ce jour dans une phase conceptuelle [10]https://universityjournals.eu/, constitue une exception. Autre exemple : celui de la TU Delft, qui vise à mettre en place sa propre plateforme de publication en libre accès dans le cadre de son programme de science ouverte [11]TU Delft Strategic Plan Open Science 2020-2024, (p.18) https://doi.org/10.4233/uuid:f2faff07-408f-4cec-bd87- 0919c9e4c26f. Parmi les exemples d’autres pays impliqués dans Knowledge Exchange, citons celui de UCL Open: Environment, la première revue de UCL Press publiée sur ScienceOpen [12]Sur UCL Open: Environment”, https://ucl-about.scienceopen.com/, et les plates-formes nationales de revues entre les mains de communautés, par exemple en Finlande, au Danemark, en France et aux Pays-Bas [13]Chacune de ces plateformes, www.journals.fi, www.tidsskrift.dk, www.openedition.org et www.openjournals.nl, est placée sous la gouvernance des acteurs concernés..

Ces exemples montrent que ces plateformes alternatives peuvent offrir une voie intéressante et innovante vers le libre accès grâce à l’utilisation d’une infrastructure différente. Elles assurent souvent la charge d’une édition en langue locale et ainsi un soutien envers le multilinguisme [14]V. « Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme dans la communication savante. » https://www.helsinki-initiative.org/fr/read. Dans certains cas, elles jouent un rôle de contrepoids face à la massification et à l’uniformisation des grands éditeurs et, à ce titre, elles apportent de la bibliodiversité [15]Appel de Jussieu pour la science ouverte et la bibliodiversité. (2017). Sur : https://jussieucall.org.

Plateformes d’édition expérimentales

Les plateformes pilotées par des chercheurs comme SciPost [16]https://universityjournals.eu/, ResearchEquals [17]https://www.researchequals.com/ et, dans le sillage de la politique d’accès ouvert récemment annoncée par l’UKRI [18]UKRI (2021, 6 August). ‘UKRI open access policy’. https://www.ukri.org/publications/ukri-open-access-policy/, la plateforme Octopus [19]https://octopuspublishing.org/, pourraient tout autant se qualifier dans la catégorie des plateformes de publication alternatives. Les infrastructures techniques (ouvertes) qui les portent permettent aux communautés de bâtir et de mettre en place de nouveaux modèles de publication, qui, par exemple, découplent les différentes fonctions de la publication, ou offrent de nouveaux flux de travail scientifiques ouverts tels que, entre autres, l’examen ouvert par les pairs, la reproductibilité, la modularité, la lisibilité par machine, le pré-enregistrement des hypothèses et des méthodes, la transparence et la facilité d’accès aux méthodes, la validation et la réutilisation de données et d’inférences. Ces nouveaux modes de publication scientifique, conçus comme ils le sont spécifiquement autour des besoins de la recherche et des chercheurs plutôt que pour un attrait à la lecture ou réaliser des gains, devraient être en mesure de modifier le système d’incitation à la publication pour favoriser tout ou partie des bonnes pratiques de recherche dans tous leurs aspects.

Viabilité des plateformes d’édition alternatives

Une grande question est de savoir de quel type de soutien les sites d’édition alternatifs ont besoin et comment organiser celui-ci. Cela peut commencer par une reconnaissance plus large de leur rôle. Il est également nécessaire de disposer d’une appréhension plus complète des prestations apportées par les infrastructures et des mécanismes modulables applicables au financement, le cas échéant, qui peuvent dépendre d’une action collective, comme le souligne un récent rapport de Knowledge Exchange [20]Cameron Neylon, Rene Belsø, Machiel Bijsterbosch, et al., (2019). “Open Scholarship and the need for collective action”, Zenodo, http://doi.org/10.5281/zenodo.3454688. Le défi réside peut-être dans la manière de transposer la notion de dimensionnement à petite échelle, savoir : comment générer des économies d’échelle tout en maintenant la diversité et un contrôle décentralisé ?

Vers une taxonomie des plateformes de publication alternatives

Comme nous venons de le montrer, nombreux sont ceux à voir dans les plateformes de publication alternatives comme des moyens d’apporter des changements positifs dans le système de publication [ou de la communication savante]. Cependant, les gens n’entendent pas tous les mêmes choses lorsqu’ils parlent de « plateformes de publication alternatives ». Pour permettre des discussions productives entre les acteurs (en y comptant les institutions, les organismes de financement et les éditeurs (non commerciaux)), nous nous proposons d’élaborer une taxonomie du concept de plateformes de publication alternatives, en dégageant les différentes caractéristiques en jeu. Loin de proposer une définition unique, une telle taxonomie peut contribuer à clarifier les débats autour des plateformes de publication alternatives et à faire ressortir les possibilités de développement et d’investissement.

Actions de suivi

Dans une première phase de son activité, le groupe de travail de Knowledge Exchange traitera des questions de recherche suivantes : quelles caractéristiques de plateformes de publication alternatives peut-on distinguer et comment les plateformes de publication alternatives existantes s’intègrent-elles dans la taxonomie proposée ? Comme premier résultat, le groupe développera une boîte à outils qui intègrera la taxonomie projetée. Tout au long de ce processus, nous sommes volontiers preneurs de commentaires sur ce document de cadrage et sur la taxonomie développée. Afin de recueillir des retours de la part de la communauté sur nos travaux, comme le présent document de cadrage, tous les résultats seront publiés sur la plateforme PubPub du MIT, qui offre la possibilité à des intervenants extérieurs à notre groupe d’apporter leur contribution tout au long de cette activité.

 

 

References[+]