L’exploitation des œuvres indisponibles jugée illégale par le juge européen

Veille
21/11/2016

La loi du 1er mars 2012 sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20e siècle autorise  les ouvrages publiés en France avant le 1er janvier 2001 à être numérisés « dès lors qu’ils ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ou ne sont plus imprimés d’une manière ou d’une autre ».

Cette initiative visait à mettre à disposition ces ouvrages sans procédure de révision individualisée des contrats d’auteurs. A cet effet, elle a modifié le Code de la propriété intellectuelle en aménageant le droit  exclusif de l’auteur.

En effet, traditionnellement, toute nouvelle exploitation de l’œuvre doit être expressément accordée par ce dernier.

Or, la loi prévoit que l’auteur ou l’éditeur d’un livre indisponible, ou un ayant droit, peut s’opposer à l’entrée en gestion collective de l’œuvre indisponible, c’est-à-dire à sa reproduction sous forme numérique, dans un délai de 6 mois. Passé ce délai, l’œuvre est  inscrite dans le registre ReLire géré par la BnF. « Après l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent I, l’auteur d’un livre indisponible peut s’opposer à l’exercice du droit de reproduction ou de représentation de ce livre s’il juge que la reproduction ou la représentation de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation. Ce droit est exercé sans indemnisation »[1].  L’auteur et l’éditeur peuvent décider ensemble de reprendre les droits d’exploitation à tout moment. Par ailleurs, elle prévoyait que l’exercice des droits numériques puissent être transféré à une société de gestion collective agréée, la SOFIA. Cette dernière est chargée de garantir à l’auteur et à l’éditeur une rémunération.

Deux auteurs français, Sara Doke et Marc Soulier (décédé depuis), ont demandé au Conseil d’État l’annulation d’un décret, justifiant du fait que le consentement des auteurs étant présumé acquis la loi contrevenait aux dispositions de la Directive 2001 dite « Copyright » en créant une nouvelle exception. Le Conseil d’État a posé une question à la Cour de Justice de l’Union Européenne. En juillet dernier, l’avocat de la Cour suprême européenne avait conclu à l’illégalité du dispositif[2].

Dans son du 16 novembre 2016, la CJUE a suivi les conclusions de l’avocat général. Elle a rappelé que « sous réserve des exceptions (…) prévues dans la directive, les auteurs ont le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la communication au public de leurs œuvres ».

Certes, le consentement peut être implicite, mais la contrepartie en est une obligation d’information de l’auteur de l’exploitation de son oeuvre, l’objectif de protection élevé des auteurs posé par le Directive de 2001 étant inconditionnel.

« Il n’est donc pas exclu, selon la Cour, que certains des auteurs concernés n’aient pas connaissance de l’utilisation envisagée de leurs oeuvres et qu’ils ne soient par conséquent pas en mesure de prendre position sur celle-ci. Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur part ne peut pas être regardée comme  l’expression de leur consentement implicite »[3]. La Cour ajoute que l’objectif culturel, bien que compatible avec la Directive, ne peut justifier une dérogation aux droits de l’auteur.

En outre, la Cour déclare que la décision de mettre fin à l’exploitation de l’oeuvre ne peut dépendre de la volonté d’autres parties, y compris celle de l’éditeur qui ne détient que le droit d’exploitation dans sa version imprimée.

La CJUE conclue  : «L’article 2, sous a), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, confie à une société agréée de perception et de répartition de droits d’auteurs l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la communication au public, sous une forme numérique, de livres dits « indisponibles », à savoir des livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 et ne faisant plus l’objet ni d’une diffusion commerciale ni d’une publication sous une forme imprimée ou numérique, tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice dans les conditions que cette réglementation définit. »

[1]« Loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle », Article 134-4.I

[2]http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text&docid=181445

[3]CJUE, « Marc Soulier et Sara Koke / Premier Ministre et Ministère de la culture et de la communication », C-301/15, 16 novembre 206
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=185423&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=633190